J'étais moi-même étonné d'être encore
en vie alors que mon corps immortel s'était évaporé. Je me rendis compte
que je ne subsistais plus que sous la forme d'un cosmos à l'état brut,
l'explication me vint tout naturellement : j'avais été l'un des trois
premiers êtres avec Poséidon et Zeus à être touché par le Big Will,
celui-ci avait donné une vie propre à mon âme, la rendant immortelle.
Ainsi tout s'éclairait enfin : si les hommes étaient encore encombrés par
leur enveloppe charnelle après leur mort c'était parce qu'ils n'avaient
pas été touchés par ce courant créateur qui m'animait en ce moment, ce qui
faisait la différence entre les hommes et les dieux n'était donc pas cet
Ichor qui, n'en déplaise à Thanatos, n'était que du sang mais le Big Will
qui en y réfléchissant bien n'était pas si différent du cosmos. Voilà donc
pourquoi je n'avais pas pu vaincre les chevaliers : alors que moi je
comptais sur la résistance de mon corps et de mon supplis pour me
protéger, les chevaliers intensifiaient toujours plus leur cosmos au
mépris de leurs corps. Si le corps peut être détruit le cosmos, lui est
immortel, j'en avais maintenant la preuve flagrante. Un cri me fit sortir
de mes réflexions : une elfe venait d'heurter le corps de Thanatos et le
suppliait de lui venir en aide. Cette ferveur me toucha, je n'avais pas le
droit de laisser mourir tous ces gens qui m'avaient été dévoués depuis les
temps mythologiques et avec lesquels j'avais tout partagé : la honte de la
défaite face à Athéna, la griserie des victoires éphémères et surtout le
désenchantement qui avait été le mien quand je m'étais vu attribué le
monde souterrain comme part de l'univers. Je devais bien me l'avouer :
autant j'éprouvais un froid mépris pour mes spectres qui n'étaient après
tout que des êtres humains avec leurs défauts et leurs qualités autant
j'affectionnais vraiment ces êtres au teint couleur de jais qui
m'accueillaient toujours de leurs sourires et de leurs chants. En d'autres
temps ils étaient des nymphes vivant en osmose avec la nature dont ils
tiraient leur vie, en ces temps lointains les dieux habitaient encore sur
Terre et ne dédaignaient pas les hommes qui nous accueillaient avec
amabilité.. Mais les temps avaient changé : à force de les soustraire aux
sanctions qu'ils avaient mérité Athéna ou Prométhée en avaient fait des
êtres arrogants qui s'étaient persuadés que si les dieux ne les
punissaient plus c'était parce qu'ils avaient admis leur infériorité, à
partir de là ils ne respectèrent plus rien, en venant même à se persuader
que les dieux n'étaient plus nécessaires. En fait je crois vraiment avoir
eu un trait de génie en transformant l'enfer en une sorte de purgatoire :
que serait-il advenu des hommes s'ils s'étaient persuadés que même dans
l'au-delà ils n'auraient pas de compte à rendre ? NON et milles fois
non je ne pouvais admettre que les hommes se comportent ainsi, ils ne
méritaient pas d'être sauvés. Dans le nouveau monde que je prévoyais de
créer la Terre aurait été repeuplée par les héros et les elfes qui
auraient appris à leurs enfants à vivre en harmonie avec les dieux et la
nature. Pourquoi diable Athéna s'obstinait-elle à ne pas comprendre le
bien-fondé de ma cause, pourquoi m'avait-elle envoyé ces massacreurs qu'on
appelait les saints de bronze plutôt que de se rallier à moi ? Tant de
questions restaient sans réponse en ce moment tragique mais pour l'heure
je devais d'abord songer à la survie des miens. Une idée me vint à
l'esprit : j'allais utiliser les armures divines qui se trouvaient
maintenant à Elysion pour permettre à mes gens de traverser le vortex.
J'enflammai donc mon cosmos que les kamuis qui avaient quitté les saints
après leur absorption par le néant viennent recouvrir mes serviteurs.
Après réflexion je décidai de les amener sur Terre où ils ne courraient
plus de danger, une fois qu'ils étaient arrivés de l'autre côté je
rappelais les armures pour qu'elles viennent secourir d'autres malheureux.
Ainsi, en usant de ce stratagème je parvins à sauver un petit nombre
d'elfes et de héros tels que Castor ou Dédale, toutefois comme je n'ai
jamais aimé les menteurs je m'abstins de sauver Ulysse. Cela fait il me
resta très peu de temps pour songer à ma propre survie. J'examinai les
options qui se présentaient à moi : je pouvais tenter ma chance dans le
vortex mais réduit à ma seule cosmo énergie j'aurais bien du mal à
retrouver le chemin de la Terre, je pouvais également tenter d'endiguer
l'effondrement d'Elysion mais étant donné ma faiblesse actuelle c'eût été
du suicide. Non la seule solution qui me restait était de me réincarner
ici et maintenant de façon à pouvoir stabiliser mon cosmos. Mais qui parmi
tous ces êtres qui fuyaient Elysion serait assez fort pour recevoir le Big
Will sans préparation antérieure, Qui ? Je ne pouvais quand même pas finir
comme çà, aspiré par le néant au milieu des ruines de mon empire. J'étais
au comble du désespoir quand j'entendis un craquement derrière moi, puis
un murmure puis une voix, une voix à la fois rauque et stridente, celle
des généraux qui hurlent leurs ordres à leurs troupes dans le tumulte de
la bataille. Je finis par saisir ce qu'il me dit : " Hadès, s'il te
faut un corps pour te réincarner prends le mien "
- Mais c'est
impossible répondis-je seul un dieu ou un mortel doté de cosmos peut
recevoir le Big Will sans risque. - N'aie crainte je supporterai et ma
vie deviendra le socle d'une nouvelle ère.
Je distinguai alors une
lueur malicieuse dans son œil unique.
- Qui es-tu ? lui demandai-je
par télépathie - Tu n'as plus le temps de t'en soucier, le néant
approche.
Je pouvais effectivement entendre le vrombissement
sinistre de cette puissance obscure qui avait fait sortir le monde du
Chaos et qui allait maintenant l'y replonger. Cependant, dans un ultime
élan d'orgueil ou d'inconscience, je ne sais, je parvins à
répondre.
- Dussé-je être emporté par le néant je ne céderai pas.
Hadès ne se donnera pas à un homme dont il ne connaît pas même le
nom.
Cette fois ce que je vis briller dans son œil ressemblait à
s'y méprendre à de l'estime.
- Eh! bien soit si tu veux mon nom je
vais te le dire mais sache avant tout que c'est un honneur pour moi que de
recevoir ton âme.
Son nom il me le communiqua par télépathie et
pour la première fois de ma vie je sentis que je pouvais faire confiance à
un mortel.
- J'ai confiance en toi Frère, dis-je avec affection,
ensemble nous ouvrirons une nouvelle ère. Prépare-toi à recevoir le Big
Will !!
Ce qui se passa ensuite n'est pas descriptible mais quand
je rouvris les yeux je me trouvais dans le corps du seigneur qui accueille
les guerriers morts au combat.