Je me suis souvent demandé si la
mort, la vraie cette fois, m'apparaîtrait comme une délivrance… Je l'ai
longtemps cru en tout cas. A vivre ainsi à moitié enfermée dans ce
cercueil de glace auquel une ruse de Pharaon m'avait condamnée, visitée
tous les jours par un Orphée dévoué mais malheureux et torturé dans son
âme de servir un ennemi d'Athéna. Pourtant maintenant que la mort
m'apparaissait en face je dois bien dire qu'elle me paraissait beaucoup
moins belle que je ne l'aurais cru : je voyais le néant se rapprocher
inexorablement de la deuxième prison des enfers, pourtant je n'avais pas à
me plaindre car le tapis de fleurs qu'Orphée avait étalé à mes pieds me
rappelait un peu sa présence auprès de moi teintant ma fin d'une note de
romantisme. Ce n'était absolument pas le cas pour les pauvres pêcheurs
des autres prisons dont la vie après la mort n'avait été que souffrance,
j'entendais leurs cris qui s'élevaient dans les ténèbres des Enfers
rompant pour une fois le silence de ces lieux, je devinais plus que je ne
voyais la destruction des prisons. On entendait les gémissements
plaintifs des pêcheurs de la deuxième prison qui tentaient de fuir ce lieu
depuis qu'ils avaient été libérés des crocs de Cerbère, je voyais les
pêcheurs du septième malebolge tenter d'échapper aux serpents qui les
harcelaient continuellement, il y avait aussi d'autres pêcheurs comme les
semeurs de discorde, les meurtriers, les comploteurs, les flatteurs et
tous ceux dont Hadès avait jugé qu'ils étaient dignes de souffrir pour
l'éternité. Pourtant aujourd'hui une donnée avait changé : les
bourreaux n'étaient plus de ce monde, en effet tous les spectres ayant été
défaits dans cette bataille les tourmenteurs s'en étaient allés avec eux.
On voyait ainsi les démons déserter la cinquième malebolge (celle où les
corrompus purgeaient leurs peines), les bougies de la troisième malebolge
s'éteindre, même la glace de l'enfer du Cocyte commençait à fondre sous
l'effet de l'affaiblissement du cosmos d'Hadès… Cette conjonction de
facteurs favorables aurait pu générer un nouvel espoir : comme l'avait dit
l'empereur des ténèbres lui-même, pour qu'une résurrection s'accomplisse
il suffisait de traverser les portes de l'enfer dans l'autre
sens. Seulement voilà le miracle que j'attendais ne s'est pas accompli,
bien au contraire !! Au lieu de s'entraider les morts et les suppliciés
d'hier faisaient preuve d'un égoïsme écoeurant : aucun d'entre eux ne
songeait à autre chose qu'à sauver sa propre peau et leur fuite éperdue
vers les portes de l'enfer se transformait en une curée abominable. Pas
un des pêcheurs qui traversèrent la 5ème prison (celle où les pêcheurs qui
n'ont pas écouté les paroles de Dieu souffrent éternellement dans des
tombes en feu) ne s'arrêta pour aider un de ses compagnons d'infortune à
s'extraire de ces tombes sinistres. Et si ce n'avait été que çà, j'ai
vu de mes yeux les pécheurs qui essayaient de franchir l'Achéron se faire
entraîner vers le fond par les morts qui y croupissaient, et cela par pure
méchanceté puisque le fleuve ayant perdu ses pouvoirs magiques tout être
vivant, enfin vivant…, pouvait s'en extraire ou en faire la traversée sans
risque et ceux qui tentaient de s'accrocher à la barque de Charon en
étaient empéchés par ceux qui les y avaient précédés de sorte que ce jour
qui était celui de la disparition de l'enfer il n'y eut aucune
résurrection et cela par la faute des morts eux-mêmes. Tandis que je
commençais à sombrer dans les affres du désespoir je ne pouvais m'empêcher
de penser " Mon Dieu, est-ce donc pour en arriver là que nous avons tant
souffert ? L'humanité n'est-elle donc faite que pour s'entretuer, est-ce
pour ce résultat que les saints d'or ont donné leurs vies devant le Mur
des Lamentations ? " Je regardai alors autour de moi et n'y trouvai que
des personnes hostiles : des vendeurs de femme échappés de la 1ère
malebolge me scrutaient avec attention.
- Qu'est-ce que t'en penses
çà vaut l'coup d'l'emmener avec nous ? - J'pense ben qu'oui, si les
mœurs ont pas trop changé sur Terre depuis l'temps une fille comme çà on
pourrait en tirer un bon prix…
Ils éclatèrent alors d'un rire gras
qui me souleva le cœur, je détounai le regard pour ne pas vomir et
remarquai alors la présence du cadavre d'un spectre, celui de Pharaon de
la Bête, curieusement le fait d'apercevoir un visage familier m'apporta du
réconfort. Plus loin les deux autres continuaient leur conversation
:
- Dis-nous la belle pourquoi tu t'es retrouvée ici ? - Par la
faute d'un serpent qui m'a mordu puis par celle de la fourberie d'un
spectre - Tu n'as donc rien fait de mal ? - Non rien, si ce n'est
aimer Orphée. - C'est bizarre, tu aurais dû être envoyée dans la
Prairie des Asphodèles. - La prairie des Asphodèles ? - Oui, c'est
un lieu intermédiaire où vont la plupart des morts qui n'ont pas connu de
crimes graves mais qui n'ont rien fait non plus d'extraordinaire. -
Mais tu n'as plus besoin de savoir tout çà puisque tu vas revenir sur
Terre avec nous dit-il en me prenant le menton. - Oui comme notre
esclave renchérit l'autre.
J'allais m'évanouir pourtant au moment
où ils entreprirent de briser la glace (de mon cercueil évidemment) un
flux d'énergie vint frapper l'un d'eux, il porta la main à son dos puis
l'en retira, ensanglantée. Il contempla un moment sa main d'un air
incrédule puis il s'écroula mort. Son comparse se releva vivement,
assez vite pour éviter une nouvelle décharge d'énergie. Je vis alors un
cosmos se matérialiser, sa puissance était extraordinaire mais son cosmos
ne semblait ni bienveillant ni malveillant, il était neutre. L'ex
vendeur de femmes le scruta de ses yeux écarquillés de terreur, il parvint
toutefois à articuler : " Qui es-tu bon Dieu ? " Un moment passa avant
que l'autre consentît à lui répondre.
" Je suis sans doute beaucoup
de choses mais ici et maintenant je suis un dieu "
Et il ajouta
avec une nuance de malice dans la voix " Et tu viens de me manquer de
respect " Il leva sa main droite soudain entourée d'un cosmos intense,
l'approcha lentement du front de sa victime et articula très lentement "
Hadès avait tort de vouloir accorder une seconde chance aux méchants, une
pourriture reste une pourriture " Il libéra alors son cosmos, terrible,
effrayant, quand je pus rouvrir les yeux il ne restait plus rien de celui
qui avait prétendu être mon tortionnaire. Il se tourna alors vers moi
et d'un geste sec et précis enfonça la main dans le cercueil de glace qui
m'enserrait depuis si longtemps il m'en tira avec une facilité
étonnante. Il ajouta à mon intention
- Maintenant que le cosmos
d'Hadès n'agit plus sur l'Enfer il m'est facile de briser l'enchantement
qui vous liait à ce cercueil.
Puis plus gravement :
- Nymphe
Eurydice j'ai été chargé par le conseil des dieux de vous emmener sur le
Mont Olympe, où vous comparaîtrez comme témoin au procès où Athéna devra
répondre de ses actes.